Francis Hallé : « Nos forêts méritent mieux que les traitements que notre société leur inflige »

Francis Hallé, président de notre association, prend la parole pour s’exprimer sur l’état des forêts françaises actuelles.


Les feux de cet été 2022 – un peu partout en France mais surtout en Gironde – doivent être l’occasion de réfléchir sur l’avenir de nos forêts, alors que la canicule se calme.

Je pose ici quatre questions de fond :

– Pourquoi tant de feux de forêts pendant cet été 2022 ?
– Quels bénéfices retirons-nous de la présence de nos forêts ?
– Quelle forêt souhaitons-nous avoir dans l’avenir ?
– Qui doit diriger la nécessaire réforme de la gestion forestière ?

Pourquoi tant de feux de forêts pendant cet été 2022 ?

On pense d’abord au fait que l’été 2022 a été exceptionnellement chaud et sec et on incrimine le dérèglement climatique ; cela entraîne deux remarques :

– Les prévisions du GIEC sont inquiétantes : le dérèglement climatique va s’aggraver et nos étés seront de plus en plus souvent chauds et secs, donc les risques de feu vont augmenter.

– La lutte contre le dérèglement climatique est du ressort du gouvernement ; mais, même si les simples citoyens ont un rôle à jouer, ils peuvent aussi agir par ailleurs, dans les domaines qui leur sont directement accessibles.

Le dérèglement climatique n’explique pas tout, les modes de gestion forestière ont aussi une part de responsabilité. Depuis plusieurs années déjà on constate que les catastrophes forestières – dessèchements, feux, compaction des sols, parasites, vulnérabilité face aux vents violents, etc. – attaquent beaucoup plus souvent les forêts plantées que les forêts naturelles. J’ai donné mon avis sur les différences entre les deux dans Le Monde du 15 août 2020 ; en voici l’essentiel.

Les forêts naturelles sont constituées d’arbres d’espèces variées et d’âges divers, d’origine locale donc bien adaptés au climat, qui se sont semés spontanément et dont les racines sont intactes. Sauf en cas d’exploitation, elles ont une durée de vie illimitée et se régénèrent spontanément.

Les forêts naturelles offrent une grande variété de paysages. S’y promener est un véritable bonheur, grâce à la diversité floristique et en général, à la richesse de la biodiversité.

Les forêts plantées sont presque toujours monospécifiques et parfois même monoclonales ; les arbres, souvent exotiques ont tous le même âge, ce qui représente une véritable « invite » adressée aux prédateurs, parasites et pathogènes, surtout si l’écologie n’a pas été respectée comme c’est le cas de l’épicéa, un arbre de montagne planté à basse altitude.

Ces forêts plantées n’ont qu’une vie brève puisqu’elles sont destinées à être exploitées ; les scieries actuelles n’acceptant que des petits diamètres, les arbres sont abattus lorsqu’ils sont encore jeunes. Sortir les troncs appauvrit nécessairement les sols puisque l’on sort aussi le carbone et les minéraux accumulés par les arbres en croissance. Ajoutons que les bois des forêts plantées sont de moins bonne qualité que ceux des forêts naturelles.

Les arbres de forêts plantées ont un enracinement déficient, leurs racines ayant été élaguées avant la plantation ; cela explique la fragilité de ces arbres en cas de tempête comme on l’a vu dans les Landes en 1999.

L’esthétique a son importance : se promener dans une forêt plantée n’est pas agréable car, à la monotonie des arbres, s’ajoute l’absence d’oiseaux et, d’une façon générale, la pauvreté de la flore et de la faune.

Nous savons fort bien créer des plantations d’arbres, mais nous sommes incapables de créer des forêts naturelles : nous pouvons seulement les laisser se mettre en place spontanément, en tirant parti du temps long.

Quels bénéfices retirons-nous de la présence des forêts ?

Certains sont connus de tous et je me contenterai d’en rappeler la liste : ombre et fraîcheur due à l’évaporation, fourniture de bois d’œuvre et de bois de feu, production éventuelle de fruits alimentaires, captation du CO2 atmosphérique et stockage du carbone dans les troncs, production d’oxygène nous permettant de respirer.

Nous retirons de la présence des forêts bien d’autres bénéfices, plus discrets que les précédents mais qui sont pourtant de grande importance : ce qui concerne les sols en est un bon exemple. Outre que les racines des arbres les protègent des glissements de terrain et de l’érosion, la forêt régénère les terres appauvries en mettant en place les sols les plus fertiles, c’est-à-dire ceux où la biodiversité entomologique et microbienne est la plus élevée.

Une grande forêt modifie le climat régional dans le sens d’une augmentation de la pluviométrie totale et de la fréquence des pluies. Les racines verticales drainent l’eau vers le bas et assurent l’alimentation des nappes phréatiques.

Dans les plus vieilles forêts, parfois qualifiées de « primaires », la présence de bois mort au sol, en cours de décomposition, assure au sous-bois une ambiance agréablement fraîche et humide, même dans de longues périodes de sécheresse. Certaines forêts primaires tropicales se révèlent même incapables de brûler tellement elles sont humides.

L’augmentation de la biodiversité est l’un des aspects les plus positifs de l’écosystème forestier ; du fait de sa complexité et de l’ampleur de ses ressources, la forêt favorise le développement des êtres vivants, micro-organismes, plantes et animaux.

La forêt a une influence positive sur la santé physique et mentale de l’être humain ; en assurer la protection serait une garantie contre des pandémies comparables à celle du COVID. Actuellement, c’est un domaine en développement mondial rapide qu’il m’est impossible, malgré son importance, de résumer dans le cadre d’un bref article.

Quelle forêt souhaitons-nous avoir dans l’avenir ?

C’est une question importante qui ne doit pas être traitée localement et qui doit faire appel à des expertises nationales. Nous avons évidemment besoin de bois et il semble même que, dans ce domaine, nos besoins augmentent ; la forêt doit couvrir ces besoins et son exploitation doit donc se poursuivre.

Toutefois, on l’a vu, le bois n’est que l’un des bénéfices que nous retirons de la forêt et les autres ne doivent pas être perdus de vue, la priorité au « tout-bois » et une gestion trop lourde sont des pratiques destructrices, conduisant à un affaiblissement de l’écosystème, et elles ont une responsabilité notoire dans les feux de cet été 2022.

Ce que nous souhaitons dans l’avenir, c’est de tourner le dos à la rentabilité économique maximale, pour obtenir une forêt où s’équilibrent conservation et exploitation sur le temps long.

Avec tristesse et angoisse, j’ai constaté dans les médias que des gestionnaires forestiers ont exprimé le souhait, avant même que les feux soient complètement éteints, que les surfaces brûlées de la Gironde soient replantées en pins maritimes afin de reprendre dès que possible l’exploitation classique dont ils tirent profit. Ma réaction est immédiate : nous avons besoin de changements profonds dans la mise en place de notre forêt d’avenir.

Qui doit diriger la nécessaire réforme de la gestion forestière ?

Le dérèglement climatique auquel nous assistons, ainsi que l’érosion de la biodiversité continentale donnent à nos arbres et à nos forêts un rôle de plus en plus important vis-à-vis de la société dans son ensemble ; d’ailleurs nos concitoyens ont collectivement acquis une conscience aiguë de ces questions fondamentales d’écologie. Les problèmes de la forêt ne sont plus seulement techniques comme ils l’étaient par le passé, ils sont maintenant sociétaux et l’État doit s’en préoccuper.

J’ai eu grand plaisir à lire le 23 août une tribune du Monde écrite par Hervé Jactel, directeur de recherche à l’INRAE et membre de l’Académie d’agriculture, qui s’inquiète à juste titre de la répétition des catastrophes « naturelles » qui frappent les forêts de notre pays et, pour y faire face, il suggère la création d’un secrétariat d’Etat à la forêt. Cette excellente idée permettrait un véritable regroupement d’expertises, de compétences et d’activités forestières. Les membres, issus équitablement des milieux de l’exploitation et de la conservation, auraient pour tâche d’assurer à la fois l’approvisionnement en bois et le respect des forêts sur le long terme.

Je voudrais compléter l’idée de Hervé Jactel en proposant que le secrétariat d’État à la forêt soit placé sous l’égide du ministère de la Transition écologique.
À mon sens, la forêt est un optimum en matière écologique et c’est dans ce ministère-là que ce secrétariat serait le mieux à sa place.

Francis Hallé

Montpellier, 2 septembre 2022

Photo principale : Francis Hallé photographié chez lui, à Montpellier, le 13 mars 2021. Crédits : Pierre Chatagnon.

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