« O h-iih-oh-iih-ooooh… !»
… criait Tarzan dans les films des années 30, avec Johnny Weissmuller dans le rôle principal, sautant de liane en liane. Dans l’imaginaire commun, hérité de la pop culture, cette espèce végétale est donc associée à la luxuriante forêt tropicale. Or, il existe des lianes en Europe : la plus répandue étant le lierre, plante si banale qu’on ne la voit plus, quand elle n’est pas injustement déconsidérée. C’est pourtant un élément important dans les écosystèmes forestiers !
Propriétés générales des lianes
La plupart apprécient les climats chauds et humides, mais sous nos latitudes elles sont aussi présentes. Nous consommons leurs fruits : raisins, kiwis, haricots… Le houblon, base de nos bières, en est une. En milieu domestique, nous admirons leurs fleurs : clématites, liserons ou glycines ornent nos façades. Il est vrai que ce sont souvent des plantes spectaculaires, avec un rythme de croissance élevé et des capacités étonnantes à s’accrocher au moindre support disponible. Leurs longues tiges flexibles y adhèrent par divers moyens (ventouses, vrilles, crochets…) et « foncent » (tout est relatif, à la vitesse des végétaux !) vers la lumière, indispensable à la photosynthèse.
Hormis quelques espèces dites parasites, qui extraient la sève de leur hôte au moyen de « suçoirs », la plupart des lianes ne dépendent pas de leurs tuteurs pour se nourrir : elles ont leurs propres racines, pour extraire du sol eau et nutriments. Il ne faut pas les confondre avec d’autres végétaux, les hémiépiphytes tropicales, par exemple : leurs variétés ascendantes grimpent aussi aux arbres, mais perdent le contact avec le sol à une certaine hauteur, et vivent de débris organiques et de l’eau qui ruisselle de la canopée.

Le lierre, victime de préjugés
Dans l’Antiquité, il était plutôt bien considéré, symbolisant l’attachement affectif et la fidélité. Mais au fil des siècles, la réputation du lierre s’est dégradée : il est supposé étouffer progressivement les arbres auxquels il s’accroche, voire leur pomper la sève, alors que n’étant pas une espèce parasite, il n’affecte pas directement leur santé, comme peut le faire le gui. À l’instar d’une majorité de lianes, c’est une espèce très adaptée aux milieux forestiers. D’autant, que, contrairement à d’autres, nécessitant plus de lumière pour prospérer, il vit sans problème dans l’ombre des feuillages denses. Quand il ne trouve pas de support pour s’élever, qu’à cela ne tienne ! Il explore son milieu en rampant, peut croître en version buissonnante.

Le plus répandu dans nos régions tempérées est le lierre grimpant (Hedera helix). Une relique de la forêt tropicale qui les dominait au Tertiaire, comme le houx (Ilex aquifolium)et le buis (Buxus sempervirens). Lorsque l’environnement est propice, point trop exposé aux sécheresses, certains individus peuvent atteindre une taille conséquente. Annik Schnitzler, naturaliste membre du Conseil d’Administration de l’association Francis Hallé pour la forêt primaire, a ainsi observé un tronc de 45 cm de diamètre dans les Gorges du Régalon en Provence, sans doute l’un des plus gros d’Europe. « Le climat local des gorges est de type méditerranéen, écrit-elle, mais bénéficie d’un microclimat humide même au cœur de l’été (…) et d’une abondance de minéraux et de supports (falaises, arbres) ».
Propriétés médicinales et usages dans l’Histoire
Comme énormément de végétaux, le lierre a fait partie de la vie quotidienne des humains pendant des millénaires. Les principes actifs du lierre grimpant comprennent des saponines, ce qui explique qu’il ait été utilisé dans les siècles passés comme savon naturel. Aujourd’hui encore, on trouve en ligne des recettes pour faire soi-même de la lessive avec ses feuilles. Il semble que les propriétés tinctoriales de ses baies bleues-violettes aient été reconnues pour teindre la laine, même si les couleurs végétales sont assez peu stables.
Il possède également des propriétés antispasmodiques (limitant les contractions des muscles des bronches) et expectorantes (facilitant l’évacuation du mucus) : l’usage d’extraits est donc possible en phytothérapie, lors de crise d’asthme, bronchite ou autres épisodes de toux grasse. Enfin, dans notre époque réfractaire au gras, il est aussi utilisé contre la cellulite, du fait de son action drainante et lipolytique.

Le lierre protecteur et nourricier
Dans les écosystèmes forestiers, nombre d’espèces profitent de ce qu’ont à offrir les longues lianes du lierre. Il procure notamment de la nourriture aux oiseaux, lesquels en échange répandent ses graines au gré de leurs déplacements. Mais attention, même si certains animaux les mangent, ses baies sont impropres à la consommation humaine !

Selon Agnès Schermann Legionnet, Maîtresse de conférences à l’Université de Rennes, étant l’une des dernières plantes à fleurir bien avant dans la saison froide, il « favorise la survie hivernale de très nombreux insectes pollinisateurs, dont une visiteuse spécialisée, l’abeille du lierre ». Un cycle décalé qu’il conserve depuis les forêts de l’ère tertiaire, il y a 20 millions d’années. Après avoir survécu aux épisodes glaciaires, il a pu maintenir son rythme de vie jusqu’à nos jours. Elle précise qu’en offrant l’abri de son feuillage toujours vert et de ses branches enchevêtrées, le lierre est un bon endroit pour se cacher, faire son nid, pour des dizaines d’espèces, tant diurnes que nocturnes. Bien-sûr, ses feuilles mortes alimentent la litière qui se décompose au sol, ce qui participe à en faire un terreau nutritif… Dans la nature, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », selon la fameuse formule apocryphe attribuée à Antoine Lavoisier…
Gaëlle Cloarec, le 15 octobre 2025
Merci à Annik Schnitzler pour son aimable partage des photos issues de son site Histoires de forêts.
Pour aller plus loin :
- La merveilleuse revue La Hulotte a consacré deux de ses numéros, les 106 et 107, au lierre. Elle a même mis en ligne une bibliographie à télécharger gratuitement.
- Éloge des lianes, Actes Sud 2022, Annik Schnitzler et Claire Arnold, avec la contribution et les dessins de Francis Hallé


