L’épopée de la nature

Vingt millénaires de vie palpitante en un ouvrage : l’inimaginable richesse naturelle de la France contée avec brio par Stéphane Durand

Couverture du livre "20000 ans ou la grande histoire de la nature" par Stéphane Durand

Stéphane Durand est biologiste, naturaliste, auteur de documentaires. Il a aussi une fibre littéraire et un talent de conteur indéniable. Ce qui donne à sa plume une vivacité et une fluidité inusitée dans le registre des écrits à dominante scientifique. Son livre 20 000 ans ou la grande histoire de la nature, paru en 2018 chez Actes Sud, dans la collection Mondes Sauvages qu’il dirige, a ces qualités. En résulte une lecture trépidante, éminemment instructive.

Deux cent pages rapidement dévorées (hors abondantes notes bibliographiques), mettent en perspective le chaos climatique de notre bille planétaire, la dilatation-rétractation des espaces et espèces, la peau de chagrin des libres écosystèmes envahis par l’humanité au cours des siècles. L’ouvrage produit, malgré ce programme chargé (!), un effet étonnamment apaisant. Parce qu’il remet à l’esprit le temps long, de manière très imagée, immédiatement représentable. Ainsi l’auteur décrit-il l’immense forêt primaire européenne, telle qu’elle s’est étendue à l’aube de l’holocène, après la dernière glaciation :

« Si l’on pouvait passer le film de son évolution en accéléré, on verrait la forêt comme un kaléidoscope scintillant constamment. Le plus grand secret (…) est de donner l’illusion d’être passive. (…) L’homme est à l’arbre ce que le moucheron est à l’éléphant : un microbe qui apparaît et disparaît en un clin d’œil. »

Stéphane Durand

Celui qui se décrit comme un vagabond culturel, au sens* du poète écossais Kenneth White, invite à une plongée dans les 20 000 dernières années. On observe avec lui les paysages désolés du maximum glaciaire, quand seuls les rivages méditerranéens abritaient encore chênes, charmes, tilleuls ou noisetiers, avec une faune de bouquetins, chamois, bisons, phoques et grands pingouins, immortalisés sur les murs de la grotte Cosquer, dans les calanques marseillaises.

On s’immerge dans les profondeurs marines, on s’émeut de la reverdie, il y a 10 000 ans :

« Après les paysages plats et monotones de l’âge de glace, voilà que surgit la troisième dimension. Les arbres déploient la vie, verticalement, au dessus du sol et en dessous. »

Les exploits des castors, pionniers de cette remontada, le long des cours d’eau, nous font frémir ; pas moins que ceux du peuplier noir, héros des ripisylves. Ce qui, aujourd’hui, forme le territoire français est parcouru au galop, sur les traces des chevaux sauvages de Solutré (oubliez les erreurs apprises à l’école !), des aurochs, qui aiment avoir les sabots au frais dans les prairies humides ouvertes par les volcans d’Auvergne, des loups, grand voyageurs, probables partenaires de chasse des humains de la Préhistoire. Ou à la force de la nageoire, dans le sillage des saumons, éminents fécondateurs des écosystèmes terrestres, ainsi que des esturgeons géants. On suit avec Stéphane Durand les armées romaines, rompues aux combats de plaine, terrifiées par les attaques surprises des guerriers du nord dans leurs sylvae impénétrables. « C’était une forêt sacrée et de nombreux sites devaient rester inviolés, donc totalement sauvages. »

Il nous apprend que les humains étaient là avant la forêt : nous avons évolué ensemble. Malheureusement, les garde-fous culturels qui laissaient place au monde sauvage ont cédé au fil des siècles. Les espaces forestiers, exploités jusqu’à la dernière pigne de pin, ont atteint la portion congrue du territoire français au XIXe siècle – pas plus de 9 millions d’hectares- après un élan consumériste exponentiel, ininterrompu ou presque depuis l’Antiquité.

« Si la France est à nouveau couverte à 30 % par les arbres, 79 % des forêts ont moins de cent ans et ressemblent plus à des plantations régulières qu’aux forêts que nous avons parcourues au cours des millénaires précédents. »

Les grands équilibres entre la terre et la mer sont bouleversés, les rivières encagées, les échanges d’un espace à l’autre, bridés. L’immense biomasse des sols forestiers anciens, lessivée. La foisonnante vitalité des écosystèmes sains est quasiment inimaginable aujourd’hui.

« Dans sa volonté simplificatrice extrême, le rationalisme occidental considère tout être et toute chose comme de simples ressources, indépendamment des relations qui les lient entre elles. »

La conclusion de Stéphane Durand est la nôtre : il est temps de renverser la tendance et de laisser la vie reprendre ses droits, à sa façon, infiniment plus harmonieuse.

Gaëlle Cloarec

31 mai 2022

* Kenneth White a bâti sa pensée sur la notion clef de nomadisme intellectuel. Il crée l’Institut international de géopoétique en 1989, écrivant que « La géopoétique apparaît comme l’aboutissement, la manifestation finale, intellectuelle, d’une expérience vécue par le poète dès son plus jeune âge dans un contact intime avec la nature élémentale (…) ».

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