Sans la vipère, la vie perd !

Quand on fait référence à la faune forestière, on pense rarement aux serpents. Pourtant ils font pleinement partie des écosystèmes en bonne santé. Le cas des vipères, reptiles injustement dénigrés.

Cet article a été réalisé grâce à l’aimable participation de Maxime Briola, herpétologue du site serpentsdefrance.com, qui nous a permis d’utilises ses superbes clichés et apporté son point de vue d’expert.

Chercher un tableau, un texte littéraire ou une citation avec pour mot clé « vipère », dans n’importe quel moteur de recherche, est un exercice très révélateur. L’animosité que cet animal inspire aux humains, depuis au moins… la rédaction de la Bible, ne s’est pas tarie au fil des siècles. Ève, Eurydice, Cléopâtre en ont pâti ; les serpents en général et la vipère en particulier ont la morsure facile et mortelle dans bien des mythes. Quant aux poètes, tout le champ lexical qu’elle leur inspire tourne autour de la cruauté, la perfidie, la langue fourchue et le poison. L’imaginaire collectif en reste imprégné, du moins en Occident, avec en plus une dimension fantasmatique sous-jacente, basée par analogie sur sa forme phallique.

Vipera ursinii, la Vipère d’Orsini © Maxime Briola

Victime de sa réputation

Résultat : encore aujourd’hui, croiser son chemin ou simplement imaginer sa présence dans les buissons peut faire frémir plus d’un promeneur. Rien n’est pourtant plus éloigné de la réalité comportementale de ces bêtes que de planter leurs crochets dans le premier mollet venu. Les serpents sont… discrets et craintifs ; ils ne réagissent par la morsure que quand on les embête au point de les acculer, ou lorsqu’ils se sentent agressés. Par ailleurs, si le venin des vipères est un cocktail complexe de protéines qui le rendent en effet toxique, leurs morsures sont très rarement mortelles. Beaucoup sont dites « blanches » ou « sèches », c’est-à-dire sans injection, et même quand c’est le cas, les conséquences peuvent se limiter à quelques symptômes désagréables. Quoi qu’il en soit, pas d’affolement : s’il faut que la personne mordue consulte rapidement, elle a tout à fait le temps de se rendre auprès d’un service médical.

Deux sur un territoire très restreint

Il en existe seulement quatre espèces en France ; commençons par les plus localisées. La vipère d’Orsini (Vipera ursinii), la plus petite de toutes (52 cm maximum, selon Maxime Briola, herpétologue du site serpentsdefrance.com), vit dans les montagnes de Haute-Provence. Elle se nourrit principalement de sauterelles ou criquets, ce qui est original pour un serpent, mais ces proies abondent dans les landes et pelouses d’altitude qu’elle affectionne, entre 900 et 2 150 m au dessus du niveau de la mer. Il s’agit d’une « population relicte » des âges glaciaires, isolée depuis au moins 10 000 ans par l’expansion des… forêts, comme l’indique le Guide de suivi édité par l’Agence Régionale pour l’Environnement Paca.

Vipera seoanei, dite vipère de Seoane ou vipère des Pyrénées © Maxime Briola

La seconde, Vipera seoanei, dite vipère de Seoane ou vipère des Pyrénées, se trouve dans quelques vallées du pays Basque. En matière d’habitat, elles n’est pas difficile : bois et forêts lui conviennent comme les zones peu arborées. Mais le morcellement des endroits où elle se sent en sécurité, suffisamment pour se reproduire, en font l’une des espèces les plus menacées d’extinction en Europe. D’une manière générale, les paysages de l’agriculture intensive, sans zones refuges comme les haies, imbibés de pesticides, exploités mécaniquement, ne réunissent plus les conditions nécessaires à la survie des reptiles.

Deux espèces plus répandues


Par ses tâches dorsales sombres, la vipère de Seoane ressemble à la Péliade (Vipera berus), même si cette dernière a des yeux rouges très caractéristiques. Elle vit dans les forêts, landes et tourbières, où elle se camoufle dans les broussailles, pour se protéger des éperviers, buses, faucons, hiboux, renards, fouines, putois, blaireaux… et chats domestiques, terribles prédateurs. Ses propres goûts alimentaires vont vers les petits mammifères tels que les taupes, mulots, ou musaraignes, occasionnellement des lézards et amphibiens.

L’ONF estime que, « discrète mais essentielle, la vipère Péliade joue un rôle-clé dans l’équilibre des écosystèmes forestiers en évitant la prolifération des micromammifères ».

Vipera berus, la Vipère Péliade © Maxime Briola

Elle préfère les climats frais ; on la retrouve donc plutôt dans la partie Nord de la France, contrairement à la vipère Aspic (Vipera aspis), sa cousine, qui gagne du territoire avec le réchauffement climatique. Celle-ci est
présente dans les trois quarts sud de la France, mais absente de la bordure méditerranéenne et de la Corse. Identifiable à son nez particulièrement retroussé, elle peut atteindre 90 cm de long. Il n’est pas rare de trouver, comme seul indice de sa présence, une mue abandonnée, car elle se dévêt deux ou trois fois par an. Et les vipères vivent longtemps ! Jusqu’à une trentaine d’années.


Des individus hybrides entre la vipère Péliade et la vipère Aspic, note le site naturaliste Baleine sous gravillon, « ont été trouvés sur les zones où elles cohabitent (…). Cependant ces hybrides, lorsqu’ils arrivent à se reproduire, produisent des portées en partie mort-nées ou ayant une durée de vie relativement faible d’un 1 an et demi environ ».

Vipera aspis, la vipère aspic © Maxime Briola

Différencier vipères et couleuvres

S’il vous est arrivé par temps chauds de chercher la fraîcheur dans une rivière d’Ardèche, par exemple, il est possible que vous ayez sursauté en voyant le corps ondulant d’un serpent s’éloigner prestement. Cela n’était probablement pas une vipère : elles savent nager mais n’aiment pas le faire. Il s’agissait sans doute d’une couleuvre vipérine, Natrix naura, dont l’apparence est proche (un bon moyen d’effrayer les prédateurs, qui la soupçonnent à tort d’être venimeuse). Son dos brun-rouge ou grisâtre, sa tête triangulaire et sa queue relativement épaisse peuvent prêter à confusion. Mais elle garde la pupille typiquement ronde des couleuvres, alors que celle des vipères est en forme de fente verticale, ainsi que les grosses écailles sur la tête, là où elles arborent des écailles plus petites.

Ou bien était-ce une couleuvre à collier (Natrix natrix), espèce semi-aquatique présente dans toute la France, jusqu’à 2000 mètres d’altitude. Ces dernières, à l’âge adulte, sont nettement plus grandes que les vipères (autour d’1m10 pour les mâles, tandis que les femelles peuvent mesurer 1m60, voire au delà). À défaut de venin, elles ont d’autres stratégies de défense : donner des coups de tête, éventuellement déféquer un liquide nauséabond.

Pour bien reconnaître les deux familles, le site Serpents de France a publié des illustrations très pédagogiques, tant il est vrai qu’un bon dessin vaut mille mots.

Préserver leurs milieux naturels


Les serpents sont des animaux à température variable. Ils ont besoin d’énergie solaire pour la réguler, car lorsqu’il fait trop froid, leurs fonctions vitales ralentissent. Les forêts profondes leur siéent donc moins que les boisements aérés, où le soleil pénètre. Un chablis, une clairière, un pierrier, les zones alluviales où les crues ouvrent régulièrement la couverture végétale, ont leurs faveurs, de même que les lisières.


Les vipères apprécient une bonne sieste au soleil, mais craignent toutefois la chaleur, car elles ne transpirent pas, précise Maxime Briola : elles doivent souvent alterner et se réfugier à l’ombre. Elles ont aussi besoin d’un couvert suffisant pour pouvoir s’abriter des rapaces, leurs grands ennemis. Une coupe rase ne leur convient donc pas plus qu’aux autres espèces animales forestières, d’autant qu’une certaine humidité leur est tout de même nécessaire. Elles ont certes une capacité d’hydrorégulation, comme le révèle cet article du CNRS, mais ces
« réponses comportementales ne sont possibles que si les milieux naturels sont préservés avec une diversité de microclimats humides ».

Comme tant d’animaux, les reptiles doivent disposer d’espaces propices à leur existence. Des écosystèmes fourmillant de vie, où faune et flore cohabitent en interdépendance dans un équilibre dynamique, d’autant plus résilient que l’humain sait s’abstenir d’interférer. « L’appel plutôt que la pelle ! » dirait SOS Serpents, cf encadré ci-dessous.

Gaëlle Cloarec, le 19 mars 2025. Mis à jour le 13 mai 2025.

Photo de couverture : Vipera ursinii © Maxime Briola

J’ai trouvé une vipère, que faire ?

Pour rassurer la population, nombre de structures appartenant à la Société herpétologique de France ont mis en place le programme « SOS Serpents ». Son slogan : « l’appel, pas la pelle ! ». Afin d’éviter que dans la panique certains ne blessent ou tuent l’animal qui a eu le malheur de ne pas décamper assez vite, il est possible de joindre une permanence téléphonique. Au bout du fil, on vous indique la marche à suivre (la plupart du temps, s’éloigner simplement). Dans certains cas, il arrive qu’une personne compétente soit missionnée pour intervenir, par exemple si le reptile est coincé ou a trouvé refuge dans une maison. Il est alors capturé doucement et remis en liberté ailleurs. La mission de SOS Serpents est avant tout de sensibiliser les habitants et de développer leur curiosité plutôt que leur animosité.

Partager cet article
Articles similaires
bandeau conseils de lecture croire aux fauves
Les deux fauves

Depuis son combat avec un ours, deux fauves cohabitent dans le corps de Nastassja Martin. Le premier rugissait dès l’origine en elle, il a poussé cette jeune anthropologue, formée par

Lire plus »
Soutenez-nous !

En soutenant l’association Francis Hallé, vous agissez concrètement pour la renaissance d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest

Chercher dans les pages et les articles du site

Merci !

Vous êtes inscrit à notre newsletter. Vous recevrez prochainement de nos nouvelles.

Pour suivre l’avancée du projet de forêt primaire, inscrivez-vous à notre newsletter !