Bisons : des architectes à la force tranquille

Les immenses bienfaits des bisons sauvages dans les écosystèmes forestiers

En 2014, l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), dans son Rapport d’évaluation de la Forêt de Białowieża, en Pologne, écrivait à propos du bison qu’il s’agit d’un animal emblématique de ce territoire. Neuf cents individus environ y évoluaient alors librement, soit 25 % de la population mondiale totale. « Il s’agit d’une population réintroduite, précise le texte. En 1919, le dernier bison d’Europe de la Forêt de Białowieża a été tué par des braconniers. Dix ans plus tard, un programme de reproduction a été mis sur pied pour conserver l’espèce et la réintroduire dans la nature. En 1952, les deux premiers individus ont été libérés dans la forêt. » On mesure le chemin parcouru, et la lenteur du processus quand, malheureusement, les dégâts sont commis. Mais il semblerait ces dernières années qu’un frémissement parcoure le Vieux Continent. Les initiatives de ré-ensauvagement (ou rewilding) se multiplient, à mesure que les associations de défense de l’environnement, les citoyens et les pouvoirs publics réalisent, avec l’aide des écologues, les immenses bienfaits qu’apporte la présence de cette espèce.

En Roumanie, ils ont été réintroduits en 2014, plus de 200 ans après leur disparition. Dans une zone protégée s’étalant sur 59 000 hectares, ils sont à l’aise et se reproduisent volontiers : à l’automne 2021, 38 bisonneaux y avaient déjà vu le jour. En Angleterre, ce sont 509 hectares de bois de chênes, bouleaux et noisetiers qui accueilleront au mois de mai 2022 une harde du plus grand mammifère d’Europe. Son lointain cousin, le bison des steppes, a pour la dernière fois foulé les terres de l’île… il y a 12 000 ans. Une forêt d’une surface équivalente s’ouvrira bientôt à eux en Suisse, dans le Canton de Vaud. La France est à la traîne, mais en Allemagne, Wallonie, Bulgarie, Slovénie, Serbie, etc., d’autres programmes de réintroduction se développent. Certes, il n’y a encore qu’environ 7 000 bisons en liberté, sur un continent que l’animal peuplait de l’Oural à l’Espagne, avant que l’humanité ne réduise drastiquement son habitat, mais de nombreux pays tentent de lui faire à nouveau de la place.

Remodeler, nourrir, stimuler

Avec leur poids de près d’une tonne, en dépit de leur discrétion (ils sont capables de se déplacer dans un silence étonnant), les bisons marquent puissamment leur environnement. Les adultes consomment chacun 40 kilos de végétaux par jour, grignotent les écorces, se frottent contre les arbres. En sillonnant la forêt, ils ouvrent avec leurs corps massifs des voies nouvelles, facilitant l’accès à la nourriture pour des animaux de plus petite taille, et laissent entrer la lumière, changeant progressivement « l’architecture » des lieux. La forêt se régénère. Sur leur passage, les branches élaguées, le bois mort répandu n’en hébergent que mieux champignons et insectes. Comme ils adorent les bains de poussière, ils creusent des fosses peu profondes, propices aux plantes pionnières et aux lézards, qui deviennent des abreuvoirs naturels pour toutes les autres espèces en cas de pluie, et font la joie des grenouilles.

Dans leur fourrure rugueuse, ou entre les deux gros ongles de leurs pieds, ils trimballent sans le savoir tout un stock de graines, les laissant choir à nouveau un peu plus loin, répandant ainsi la végétation. Le sol est nourri de leurs déjections. Une bouse de bison équivaut facilement à deux bouses de vaches ! Il faut voir, au bout d’à peine trois semaines, germer à leur emplacement des dizaines de plantules… Autre avantage non négligeable : le bison n’est pas un brouteur. Au lieu de couper l’herbe à ras, il la casse avec la langue et en laisse une bonne partie. Ainsi après son passage, les autres ongulés sauvages trouvent encore à se nourrir.

Des micro-organismes aux grands carnivores, la faune bénéficie de leur retour. Tout en haut de la chaîne alimentaire, le loup ou l’ours, s’ils sont aussi présents, croqueront volontiers tout bison très affaibli ou malade. Cela renforce le bon état général des hardes, et éloigne les prédateurs des troupeaux domestiques, puisque la nourriture « sauvage » est abondante.

Pas encore tiré d’affaire

Le 10 décembre 2020, l’UICN a sorti l’espèce de sa liste rouge : de « vulnérable », elle a été reclassée en « quasiment menacée ». Mais pas plus que le bison des plaines américaines, le bison d’Europe n’est tiré d’affaire. Même si les premiers projets européens de reproduction ont débuté dans les années 1920, le processus a été compliqué. Il restait si peu d’individus que le taux de consanguinité reste élevé. L’idée, dès le début, était d’expatrier une partie des familles, pour les implanter dans des milieux différents, de façon à leur offrir des évolutions adaptatives plus variées. Toutefois, tant que les surfaces dédiées à leur installation restent insuffisantes, trop fragmentées, les populations surchargent vite le territoire. L’alimentation disponible n’est pas suffisante. De ce fait, en Pologne où vivent plusieurs centaines de bisons, et autant du côté biélorusse, il arrive fréquemment que les animaux reçoivent du grain ou du fourrage l’hiver. Inévitablement, cela entraîne des conséquences sur leur ensauvagement : ils deviennent trop familiers pour leur propre bien. Le mur frontalier que le gouvernement polonais fait construire pour décourager les réfugiés empêchera aussi la libre migration des animaux. Cette mesure inhumaine amplifiera une concentration génétique tristement dommageable, les mâles de l’espèce ne pouvant plus passer d’une harde à l’autre, comme ils le font couramment.

Tout ceci doit nous conduire à redoubler d’efforts pour que cet animal majeur des espaces forestiers perdure. Dans notre projet de forêt primaire en Europe, le bison aura, bien sûr, sa place. Les écosystèmes se portent infiniment mieux avec lui.

Gaëlle Cloarec
Avril 2022

Photo de couverture : jeune bison mâle dans la forêt de Białowieża © Pierre Chatagnon


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