Débardage à cheval, une solution d’avenir


La traction animale en forêt, excellente alternative au gigantisme machinique. Un article de notre série consacrée aux techniques douces dans l’exploitation forestière.

« Être en forêt avec mes chevaux, je n’ai jamais rien vécu d’aussi beau »

Crédits © Pascal Bellier

Une étude publiée cette année dans la revue scientifique Forest Ecology and Management, établit que la mécanisation de l’exploitation du bois est la principale cause de la dégradation des forêts tempérées, plus encore que le changement climatique. Les grosses machines utilisées sont un facteur majeur de fragilisation, à l’échelle de forêts entières (les chercheurs ont étudié 206 sites dans le Nord-Est de la France). Là où elles sont passées, les sols s’assèchent, sont tassés, ravinent, la canopée ouverte ne joue plus son rôle protecteur, d’autres espèces végétales apparaissent et suivent le tracé des voies nouvelles… En résulte un appauvrissement conséquent des écosystèmes forestiers.

Ces méthodes se généralisent, y compris dans les zones réputées inaccessibles jusque récemment, et donc préservées des appétits du marché. Même sur un terrain escarpé, en montagne, il « suffit » d’un terrassement et l’endroit devient accessible. Alors que des alternatives douces existent. Parmi elles, le débardage à cheval a fait ses preuves.

Avantages du cheval en forêt

Cette pratique, qui consiste à extraire les troncs d’arbres abattus grâce à des chevaux de trait, a des atouts remarquables. La traction animale ne compacte pas les sols, comme le font les lourds engins de la filière bois industrielle : broyeurs, porteurs forestiers, pelleteuses… Des tonnes de métal écrasant tout sur leur passage. Contre le pied agile d’un cheval, capable de contourner les obstacles, et qui ne nuit pas à la faune lorsqu’il débarde les grumes jusqu’au tracteur, resté sur les chemins carrossables.

En Bretagne, où il pleut souvent et les sols sont meubles,

« les machines laissent parfois des ornières d’un mètre de profondeur »


décrit Serge Lelouarn, président de DCE (Débardage Cheval Environnement, association qui rassemble depuis 2006 des entrepreneurs de travaux forestiers spécialisés en débardage par traction animale, répartis dans différentes régions de France). Sans parler des possibles fuites d’hydrocarbures polluants, là où un équidé se contente de déposer son crottin, qui nourrira le sol.
Par ailleurs, la traction animale est plus efficiente dans les formes d’exploitation douce, en futaie irrégulière ou jardinée : « sur les peuplements avec différentes essences et différents âges, elle n’abîme pas les jeunes plants ».

Crédits © Débardage Cheval Environnement

Des coupes rases qui ne passent pas

La plupart des débardeurs ne sont pas opposés à l’usage de machines en forêt ; ils travaillent en coordination avec des bûcherons équipés de tronçonneuses et s’estiment complémentaires sur les chantiers. Mais il suffit d’une brève recherche sur YouTube pour comprendre en trois vidéos promotionnelles à quel niveau de gigantisme et d’efficacité les équipementiers sont arrivés. C’est tout simplement terrifiant : en très peu de temps, d’immenses surfaces peuvent être dévastées par les têtes d’abattage.

La réception de l’exploitation forestière par les riverains s’en ressent : les chevaux suscitent la sympathie et amènent les promeneurs à parler volontiers aux débardeurs, tandis que les conducteurs d’engins très bruyants, enfermés dans leur cabine, sont inaccessibles au dialogue. La colère des habitants s’exacerbe :

« une coupe rase se fait en deux coups de cuillère à pot ; forcément cela crée des colères, surtout si c’est pour envoyer des containers en Chine ! »

Selon les régions de France, la résistance à ces pratiques s’organise avec plus ou moins de force. Elle est vive dans les Côtes d’Armor, et pour Serge Lelouarn, cela s’explique car « la Bretagne est le lieu de tous les excès agricoles, donc les gens ici sont peut-être un peu plus conscients des dégâts ».

Dans le Haut-Jura où vit son collègue Florent Daloz :

« sous prétexte que les bois sont scolytés, les machines mettent tout à nu. Cela a un impact terrible sur la faune, le sol est détruit, lessivé, et si on ne s’y oppose pas, tout le massif va y passer. Ils veulent de la matière première, ils mangent leur pain blanc, c’est facile, mais après, il y aura quoi ? Sur le caillou calcaire, comment la forêt pourrait-elle se reconstituer ? »

Peu d’aides pour le débardage à cheval


Les dispositifs de soutien public à la traction animale ne sont pas inexistants… mais rares et très limités géographiquement. La région Bourgogne-Franche Comté subventionne le recours au débardage à cheval, dans la limite de 40 € du mètre cube et de 10 000 € par chantier, et finance du matériel neuf pour les débardeurs (remorque, trinqueballe avec treuil, harnais, pince à bûches…). La région Grand Est propose une aide de 350 € pour le débourrage des jeunes chevaux de trait Ardennais. Le Parc naturel régional du Gâtinais soutient aussi le débardage équin… et c’est à peu près tout. « Ce n’est pas inhérent à la couleur politique, précise Serge Lelouarn. Simplement, l’écologie fait rarement partie des priorités. « Les collectivités n’ont pas un sou à mettre là-dedans. Les jeunes chargés de mission sont peut-être plus sensibilisés à ces questions que les anciens, mais ils n’ont pas de budget. »

Crédits © Débardage Cheval Environnement

Tant que les mesures ne sont pas portées politiquement, elles demeurent sporadiques et méconnues. Et parfois, il peut sembler ardu aux propriétaires privés de monter un dossier, alors qu’il est si facile de recourir à une entreprise classique !

À quand un dispositif généralisé au territoire national ?


« Pour les propriétaires, un chantier avec traction animale est cher », constate Étienne Blachère, de la coopérative Bocagère, implantée sur la Zad historique de Notre-Dame des Landes. « Cela peut aller jusqu’à 500 € par jour. S’ils ne parviennent pas à revendre du beau bois d’œuvre derrière, le coût est trop élevé ».

Mais si le cheval est plus onéreux, fulmine son confrère Christophe Borotti, implanté dans le Var :

« c’est parce que la machine est énormément subventionnée ! Le problème est l’exigence de rentabilité et d’accélération perpétuelle de notre époque. Nous sommes un peu plus lents, mais si nous étions plus nombreux, avec des meneurs et des chevaux formés, cela serait résolu. »


En 2020, Serge Lelouarn écrivait un courrier à l’Assemblée Nationale, pour « mettre le cheval, énergie douce et puissante, au service de la forêt ». Si, en travaillant avec plusieurs équipages, les chevaux peuvent traiter de gros volumes de bois, il soulignait un autre avantage : il est plus facile de déplacer les entreprises de traction animale pour des chantiers réduits, de 50 à 200 stères.

« En effet, les entreprises lourdement mécanisées refusent souvent d’intervenir pour des petits volumes d’exploitation. Elles induisent ainsi une pression sur le donneur d’ordre qui consent souvent à traiter de plus lourds volumes. »

Plus d’arbres sont donc abattus que nécessaire.


Dans cette lettre, M. Lelouarn suggérait d’intégrer dans les appels d’offre publics la possibilité d’utiliser la traction animale, voire de l’imposer sur tous les espaces sensibles où les machines occasionnent les pires dégâts. Il invitait l’Assemblée Nationale à légiférer pour financer un système d’aide aux propriétaires forestiers, publics ou privés, souhaitant y recourir. « Cela permettrait d’atténuer l’écart de prix entre la traction animale et le machinisme sur les chantiers de production. »

Des techniques plus douces deviennent indispensables


Les effets du changement climatique se font sentir de plus en plus durement sur les massifs forestiers. Un contexte auquel les méthodes intensives, telles que les coupes rases, fort prisées dans le privé pour leur rentabilité de court terme, sont complètement inadaptées. Mais, explique Florent Daloz :

« même le débardage traditionnel, tel qu’il est encore pratiqué par l’ONF, en n’exploitant que les bois secs, au tracteur et débusquage, pied à pied, c’est déjà, pour moi et d’autres professionnels qui réfléchissons à l’avenir, dépassé. Il faudrait aller vers une sylviculture d’écosystèmes, sauvage. Sur ces chablis, prendre seulement les plus beaux troncs, en laissant les autres se dégrader tranquillement au sol, qu’ils vont nourrir pendant des années. »

Atténuant ainsi la sécheresse et la dégradation accélérée des milieux, favorisant leur résistance aux tempêtes et aux incendies. C’est alors que les crises écologiques s’aggravent que les techniques traditionnelles, plus douces, s’avèrent précieuses. « Pour cela, le cheval est une merveille ! » Chez DCE, on préconise de travailler en futaies irrégulières, en espaçant les prélèvements de 15 à 20 ans, de favoriser le couvert continu, tenir compte des dynamiques naturelles dans la gestion, et faire confiance aux essences spontanées.

Entre l’humain et l’animal, le goût de l’effort et de la forêt

Florent Daloz travaille avec des chevaux ardennais, quelques comtois, d’autres utilisent des traits du Nord, bretons, cob normands ou percherons.

« De très bonnes races pour les travaux de force, sociables, avec des qualités de puissance et d’endurance. Une fois éduqués, à partir de 5 ans, ils peuvent travailler jusqu’à l’âge de 17 ou 18 ans, avant d’être mis sur des charges plus légères, car le débardage, c’est athlétique ! On en prend soin, ils se relaient, ont une vraie vie de cheval en pâture. Quand ils sont bien traités, ils ont envie de travailler, c’est incroyable ce qu’ils nous donnent. Ce plaisir. Être en forêt avec mes chevaux, je n’ai jamais rien vécu d’aussi beau ».

Crédits © Débardage Cheval Environnement

Les débardeurs décrivent une ambiance d’entraide sur les chantiers. Les chevaux de différentes équipes doivent être capables de travailler ensemble, d’obéir aux mêmes consignes.

« Nous devons être très précis et rigoureux pour les mener avec la voix. Il faut une relation aussi forte avec eux qu’avec les humains. Réaliser des chantiers ensemble, quand tout le monde transpire, les chevaux, les hommes, les femmes, c’est un autre kiff que d’être dans une machine, on remet de l’humanité en forêt. »

Sur le secteur où exerce la Coopérative Bocagère, avec le goût du collectif enraciné à la Zad Notre-Dame des Landes, les chantiers-écoles marchent bien. Y compris en effet, dans un métier très masculin, auprès de quelques jeunes femmes. « Cette année, raconte Étienne Blachère, j’ai eu une stagiaire en forêt pour la première fois. »

Un métier artisanal, héritage du passé, modèle d’avenir

« Il y a toujours des jeunes qui y croient, opine Serge Lelouarn. Mais on est obligés de leur dire la vérité : il y a très peu de travail, c’est difficile d’en vivre. On est tous contraints d’avoir une autre activité à côté, dans d’autres secteurs agricoles, le maraîchage, le vin… » Les difficultés pour équilibrer un modèle économique sont générales, avec des disparités entre les régions. Dans le Haut-Jura, Florent Daloz déplore que la culture de la traction animale se perde.

« C’est un métier artisanal, nous n’avons plus notre place dans une « forêt » formatée pour les machines. Et les chevaux, s’ils ne sont pas régulièrement sur le terrain, perdent des capacités, du savoir-faire. »

En Loire-Atlantique, c’est mieux. Étienne Blachère et la trentaine de personnes avec lesquelles il travaille régulièrement s’en sortent petit à petit. Le secret, dit-il, est de constituer une filière bois de A à Z, du bûcheronnage à la charpente, en passant par le débardage et la scierie. Les propriétaires de parcelles forestières semblent de plus en plus à l’écoute. « Échaudés par des entreprises qui ont fait du sale boulot, ils commencent à mettre la pression sur les gestionnaires. Cet hiver un propriétaire est venu visiter le chantier ; très content de voir le cheval, il a ramené toute sa famille. Son voisin avait fait une coupe rase, il a trouvé cela horrible ! »

Une filière locale à renforcer

Si c’est le signe d’un changement de mentalité, cela mettra du baume au cœur des plus anciens débardeurs, amers. Florent Daloz, qui a commencé en 1995 et se retire du métier à 70 ans, regrette fort d’avoir dû se déplacer beaucoup pour pouvoir travailler, alors qu’il voulait exercer localement. Même les jeunes de Notre-Dame des Landes doivent faire des compromis, quand les chantiers de bois de chauffe ou de construction ne suffisent pas à remplir le frigo. « On a dû malheureusement se tourner vers des filières industrielles de production de palettes, cagettes… mais pas la biomasse quand même ! On pourrait faire du pellet, simplement on veut que ce soit à l’échelle locale. »

Crédits © Débardage Cheval Environnement

De la vente directe, de proximité, en somme, comme pour l’alimentaire, rêve Serge Lelouarn. « Tout le monde serait gagnant, on a toujours besoin de maisons, hangars, menuiserie… et cela fait vivre une entreprise du coin. »


Gaëlle Cloarec, le 22 mai 2025


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