Un sac sur le dos : direction la forêt primaire de Białowieża

Toni et Corentin sont deux amis de lycée qui partagent le goût de l’aventure et de la nature. Parvenus au terme de leur cursus universitaire, les deux membres de notre association se sont lancé un défi singulier : partir sur les traces des forêts naturelles d’Europe de l’Est avec leur sac sur le dos. Pendant les 15 jours de leur voyage, ils ont documenté leurs découvertes et leur parcours sur la chaîne Instagram Allez la forêt.

Comment l’idée leur est-elle est venue ? Quel a été leur voyage, et quelles découvertes ont-ils fait en route ? Nous les avons retrouvé à leur retour en France pour leur poser ces questions et bien d’autres  ! 


Vous êtes partis à la recherche de forêts dites « naturelles » ? Qu’est-ce que ça veut dire, et comment l’idée vous est-elle venue ?  

Corentin : Par « forêt naturelle », nous entendons forêt libre d’exploitation de son sol et de son bois, sans trace de gestion humaine et sans chasse. C’est un endroit où tous les cycles et toutes les connexions entre les êtres vivants se développent et se complexifient librement à mesure que le temps passe. Il s’agit donc d’un endroit préservé, très riche en biodiversité et on ne peut plus résilient. Nous voulions y être confrontés et découvrir ce qu’était une véritable forêt sous nos latitudes tempérées (différentes des forêts tropicales ou boréales). Malheureusement, il n’en existe plus en France, ni dans l’Ouest européen. La plus proche de « chez nous » se situe à Bialowieza, en Pologne. C’est ainsi que l’idée de ce voyage est née. Ensuite il aura fallu environ 10 secondes pour convaincre mon très cher Toni de réaliser cette expédition ensemble.

Toni : J’ai découvert le sujet des forêts naturelles lors des formations en ligne au kit pédagogique sur la forêt primaire de Rozenn Torquebiau. Très chouette formation, qui donne pas mal de clés de lecture des forêts pour en déterminer leur naturalité. Et j’ai été terriblement enthousiasmé par l’idée d’aller en visiter une, qui plus est une des plus ancienne et développée en Europe, la forêt de Białowieża.

Forêt de Białowieża © Jessica Buczek

Aviez-vous une idée précise de ce que vous cherchiez au moment de vous lancer ?  

Toni : Je partais avec des connaissance assez théoriques et partielles de la forêt primaire. Mes sources provenaient du projet de Francis Hallé, de quelques interviews et conférences que j’ai écoutées et la formation au kit pédagogique. Ce voyage m’a permis de les confronter et de les enrichir. J’ai pu jouer à déterminer la naturalité des massifs des Forêts des Vosges et des Forêts Noires qui manifestement n’arboraient pas ce caractère primaire. Et en apprendre beaucoup sur la forêt primaire lors de notre visite de Białowieża. Pour le reste, je n’avais que très peu d’images en tête, mais j’étais mu par toutes les promesses qui entourent les forêts naturelles et la renaissance d’une forêt primaire.

Corentin : Avant de partir, je pensais pouvoir dire « oui » dans l’ensemble, grâce aux moments passés en forêt en France ou ailleurs, aux études et aux échanges avec les membres de l’équipe de l’association qui ont aussi eu la chance de s’y rendre. Mais il y a parfois un monde entre l’idée que l’on se fait de quelque chose et la confrontation au réel. Comme le dit bien Toni, nous en avions une idée plutôt théorique. En fait, nous n’avons cessé d’être surpris par l’environnement exceptionnel là-bas. J’ai encore des frissons rien qu’à en parler.

Sur le terrain, des surprises de taille attendent Toni et Corentin même dans des lieux d’apparence banale

Est-ce que le voyage a confirmé des attentes que vous aviez ? Déconstruit des idées reçues ? 

Corentin : Confirmé oui, même bien au-delà. J’ai été très touché de voir que la forêt de Białowieża servait de magnifique lieu pédagogique. Nous avons croisé de très nombreuses classes de jeunes scolaires issus de cursus et de pays différents. Si à 10 ans, on m’avait dit que j’allais faire une classe verte au milieu des bisons et des loups, j’aurais été fou. Ces animaux ne présentent aucun danger direct pour les humains, n’en déplaise à certains (je ne parle pas des cheptels). Si des idées reçues ont été déconstruites, ce sont bien celles diffusées par les grands représentants du lobby bois ou chasse. En tout cas, si nous étions déjà convaincus par la pertinence du projet de l’association Francis Hallé, nous le sommes encore davantage. Il est essentiel ! C’est notre devoir que de laisser une Terre saine aux futures générations. 

Toni : Le voyage a-t-il confirmé des attentes … En fait, pour ma part, je n’en avais pas tellement ! J’étais presque un rectangle de pâte de cellulose blanche. J’ai énormément découvert et appris. Alors qu’auparavant, je n’aurais pas eu l’idée de faire une distinction entre une forêt plantée ou gérée et une forêt laissée en libre évolution, maintenant je le fais en toute conscience avec cette nouvelle base de référence qui est la forêt de Białowieża. Ces apprentissages m’ont fait réfléchir aux forêts que j’ai pu côtoyer dans mon enfance (forêt des Landes, forêt d’Orléans), notamment à leur histoire et à leur gestion et ça m’a aidé à me construire un avis.

En traversant plusieurs forêts d’Europe, les deux compagnons croisent des forêts aux apparences très contrastées. Photo de gauche : un aperçu de la forêt de Białowieża, en Pologne. Photo de droite : une plantation d’arbres en Forêt Noire.

Vous êtes finalement parvenus à la forêt de Białowieża, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Cette forêt est considérée comme la dernière véritablement primaire d’Europe. Qu’est-ce que ça fait d’approcher un lieu comme celui-là ? 

Corentin : C’est un vrai méli-mélo d’émotions. Nous sommes d’abord déconcertés par la beauté de l’endroit. Nous nous sentons petits face à la taille vertigineuse des arbres, même morts. Nous sommes tout heureux de rencontrer, au bout de 30 secondes, un couple de martres, absolument pas farouches et entrain de jouer devant nous. Nous sommes saisis par l’omniprésence de la vie animale. Il y a aussi un très désagréable sentiment de culpabilité induit par la conscience de profiter pleinement d’un système qui dégrade tellement le monde qui lui permet d’exister. Donc nous comprenons immédiatement que nous sommes dans un environnement particulier. 

Toni : Après avoir parcouru des forêts gérées et entretenues, des plantations à perte de vue en Pologne, l’arrivée dans la forêt étendue de Białowieża a été une véritable épiphanie. La route qui mène au cœur de la forêt protégée est bordée par des parcelles de forêt en libre évolution déjà incroyables avec leurs couverts végétaux, leurs immenses arbres. Et surtout leurs immenses arbres au sol, non pas gisants mais reposants dignement, magistralement après la meilleur des fins, une fin naturelle,ou l’entrée dans une nouvelle phase du cycle de la vie. C’est un sentiment d’harmonie, de cycle, d’équilibre qui émane de cette vision entremêlant vivant et mourant qui, loin d’être désolante, apporte un équilibre, redonne une place à la mort, à cette « fin de l’existence », qui est tellement évacuée par nos sociétés obnubilée par une forme de la jeunesse éternelle, de croissance perpétuelle. Et ce n’était qu’un avant-goût de ce à quoi nous allions pouvoir assister.

L’impression que j’ai eue ensuite au fil de nos rencontres a été que Białowieża représentait presque un lieu de pèlerinage pour les passionnés de nature, d’écologie, de forêt, de vivant qui faisaient le déplacement de toute l’Europe. Nous étions tous émerveillés, attentifs au moindre mouvement, comme des enfants à l’idée de tomber nez à nez avec des animaux sauvages.

Corentin : Avec un peu de recul, c’est une très belle ouverture que d’avoir parcouru différentes forêts ou plantations d’âges différents avant de terminer par cette cerise. Cela a forcément participé à renforcer notre étonnement face à ce lieu tristement unique. Ensuite nous nous sommes serrés dans les bras en se disant que nous y sommes arrivés, l’un grâce à l’autre. Ca marque!

Est-ce que votre vision des forêts a évolué au cours et depuis ce voyage   ? 

Toni : Ma vision des forêts a beaucoup évolué et surtout l’ampleur des gestions qu’on impose à ces écosystèmes. Je ne pensais pas qu’elles faisaient l’objet d’autant d’exploitation. Cette prise de conscience s’est aussi faite par le biais du reportage d’Arte sur IKEA et la pression mise sur ces écosystèmes pour les rendre productifs, sur les forêts encore non-exploitées qui se font de plus en plus rare.

Sur la trace de forêts naturelles, Toni et Corentin sont aussi témoins des désastres écologiques que représentent certaines pratiques extractivistes en forêt

Corentin : Forcément. Je me souviens de mon effarement quand j’ai compris que la relation trophique lynx-loups/herbivores impactait la régénération et la répartition végétale de la forêt. Pas seulement par la régulation des mangeurs de feuilles par les carnivores, mais par le concept théorisé du « paysage de la peur » [le fait que les herbivores, conscients de la présence de prédateurs dans la zone, restent alertes et se déplacent en permanence pour limiter les risques, dimiuant de facto leur pression sur les végétaux, ndlr]. J’ai trouvé ça fascinant. Nous sous-estimons grandement le nombre de connexions entre tous les êtres vivants qui font la résilience d’un écosystème. Et pas seulement forestier, c’est également le cas pour l’intégralité des milieux de la planète, également marins. 

Côté aventure et rencontres, nous avons pu suivre vos surprises, des bonnes et des moins bonnes ! Vous pouvez nous en parler ? 

Toni : Oui, quelle aventure ! C’était vraiment un voyage riche en apprentissages, mais surtout en aventure. Première fois en bivouac et en stop et pour la première nuit, on se fait détremper et congeler à cause d’une tente manifestement plus si étanche…. Mais avec quelques affaires encore au sec, un objectif en tête, des défis physiques à relever et des followers (famille, amis, réseaux) à ne pas décevoir, il fallait bien continuer. Mais c’est comme ça que les choses s’impriment dans le corps et dans la tête !

Corentin : Quelques temps après on peut se dire que ces surprises étaient toutes bonnes ! Du moins nous rions des déconvenues. Nous avons fusionné avec la pluie, sué, mal dormi… Nous nous levions sans savoir où nous allions dormir. Nous avons surtout découvert des environnements et des êtres supers ! Quand nous évoquions le projet que nous défendions, l’entièreté des personnes rencontrées a trouvé l’idée géniale et a voulu en apprendre davantage. Elle nous a ensuite suivi et soutenu dans notre démarche. Y compris le seul chasseur que nous avons rencontré en Allemagne, qui a pris le temps de nous écouter sans faire de raccourci de pensées. Et à raison, l’association n’est ni anti-chasse, ni anti-exploitation du bois, elle est pour la forêt primaire. En tout cas, cela nous a galvanisés et rassurés. Et une fois que nous avons compris que des personnes de nos entourages et d’autres curieux d’aventures et du projet de l’asso nous suivaient, rien ne pouvait plus nous arrêter. 

Pourquoi soutenez-vous le projet de l’association Francis Hallé pour la forêt primaire ? 

Toni : Le projet de l’association Francis Hallé a été et est une source d’espoir incroyable. Son esthétique m’a beaucoup touché, autant par l’idéal qu’il nous fait découvrir que la voie de ce qu’il esquisse. Je souhaite le soutenir pour voir cette idée se transformer en projet concret, pouvoir y contribuer ou le suivre. Pouvoir le visiter ou l’habiter… Qui sait ?

Corentin : Pour tout un tas de raisons. Déjà nous en avons un besoin urgent sur le plan climatique. Une vraie forêt résiliente est régulatrice du climat. De plus, l’adage « fais ce que je dis, pas ce que je fais » a bien des limites. Nous, pays riches, supplions des pays en développement de ne pas déforester leurs espaces primaires. Comment voulez-vous que nous soyons crédibles alors que nous avons justement détruit tous ces espaces sur nos territoires pour arriver à ce stade de développement ? Ensuite, au niveau du tourisme, c’est aujourd’hui la course à l’endroit ou à l’expérience la plus insolite loin de « chez nous ». Il faut se rendre compte que l’on va très souvent à l’étranger chercher des endroits que l’on a détruit en France au bénéfice d’autres activités. Cette initiative est une chance de développer des animations touristiques extraordinaires, nouvelles et locales. De plus, une forêt primaire est un terrain merveilleux pour la recherche et une opportunité géniale pour l’éducation. En sortant de terre, elle permettrait la mise en place de très riches actions pédagogiques et travaux scientifiques. Nous l’avons vu autour de la forêt primaire de Białowieża. En outre, il s’agit d’un ambitieux projet d’innovation territoriale, créateur de valeurs, en phase avec les problématiques de son temps et surtout porteur d’espoirs.

J’ajouterai que laisser cette cathédrale naturelle naître, c’est renforcer notre imaginaire des forêts. C’est très important. Celui-ci s’est considérablement appauvri de génération en génération, à mesure que nous avons détérioré ces espaces. C’est un problème pervers, que l’on ne voit pas nous nuire. Pourtant il peut grandement desservir nos travaux de redynamisation d’espaces dégradés et nos considérations. Enfin, parce que l’écologie est un terme politisé trop souvent associé à la contrainte. Réunir les conditions pour qu’émerge une forêt primaire : n’est-ce pas là un projet écologique des plus enthousiasmants ?

Vous êtes maintenant tous les deux de retour en France. Quels sont vos projets, cette expédition aura-t-elle des suites ?

Toni Je termine mes études en design de l’Anthropocène, ou design de la transition écologique. Par rapport au projet de l’asso, j’adorerais organiser des rencontres et diffuser cette idée pour contribuer à ce que la communauté de l’association grandisse et qu’une véritable culture se développe autour de cet idéal de forêt primaire !

Corentin :  Pour l’instant, nous n’avons pas prévu de repartir avec Toni. En revanche, nous planchons sur une myriade de beaux projets pour que l’idée de Francis Hallé voie le jour. Un « collectif jeunesse » de l’association est en train de se former. D’ailleurs, n’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez nous rejoindre et nous aider 🙂

Propos recueillis le 23 mai 2024 par Damien Saraceni.

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